mercredi 6 octobre 2010

vendredi 24 septembre 2010

Les rieurs des miroirs

Je ne peux plus.

Regarder ça.

Regarder ce reflet qui me rappelle un peu plus chaque jour que je ne me ressemble plus.

La moindre irrégularité...

Une ride là au coin de ces yeux dont on m'a dit jadis qu'ils étaient tellement beaux.

Un pli sur le front, qui s'accentue quand je me regarde.

Et ces affreuses taches - des taches de rousseur il y a quelques années - sur ma peau.

Je ne peux plus le regarder ce miroir, plus me regarder, je veux seulement me retrouver.

Ça vous faire rire, non ?

Vous qui me contemplez, derrière la glace, qui goûtez à ma lente déchéance, vous riez de me voir tendre désespérément cette peau qui devient plus flasque chaque jour. Si seulement, il ne s'agissait que de fondre, de laisser un os à nu, blanc, lisse.

Mais j'en suis certaine, même mes os doivent être laids, jaunis, tachés, fissurés. Non, il n'y a qu'une solution, même si c'est une fuite en avant :

Pour ne plus le voir.

Le mieux c'est que je n'en ai plus les moyens.

Ces yeux qui sont leur complices, aux créatures de la glace, je les ai condamnés.

La sentence...

Immédiate.

La douleur ne me fait pas peur, il n'est pas trop tard, je pourrais toujours garder cette image de moi. Et dans l'obscurité, vos rires ne me toucheront plus. Ce sera mon tour, avec mes yeux morts. Ho oui, je rirais de votre impuissance...

lundi 30 août 2010

vendredi 12 mars 2010

BEAUTY

"Je sors, tu as besoin de quelque chose ?"

Martha me sourit en me présentant l'ardoise et je me contente de secouer la tête.

Depuis mon accident, je ne parle plus : ce n'est pas dû au choc, ni à quoi que ce soit de post-traumatique, c'est une simple décision. Comme mon corps m'a condamné à n'écouter que le silence, comme il m'a privé de musique, de conversations, de bruit de rire, des murmures, alors j'ai imposé au reste du monde le même traitement.

Les médecins ont inscrit sur ma fiche un "impact psychologique à posteriori de la surdité". Le dossier - que j'ai à peine regardé- indiquait surtout les dommages comme irréversibles, le cerveau a été touché après que ma voiture ait traversé la glissière de sécurité pour s'écraser dans le ravin en contrebas. Donc, pas de petit appareil miracle pour moi, plus d'alternative, juste le cul-de-sac.

Ho, ça pourrait être drôle de voir les autres comme des pantomimes éternels, si la surdité n'avait pas tout du sixième sens : sans leurs paroles pour abuser et tromper, les pensées des gens sont limpides comme du cristal. Elles transpirent dans la moue de leur bouche, s'esquisse dans la pose qu'ils prennent, se devine, comme un point d'encre dans un visage d'une immaculée neutralité, dans le regard.

Je devine l'ennui de Martha, le poids que je suis devenu pour elle, qui m'écorchait les oreilles de son amour fou avant que je ne devienne impotent...plus claire encore la pitié de mon père, si fier de moi auparavant. Sans surprise, enfin, le mépris de ma soeur...

Voilà tout ce qu'ils pensent de moi, exposé triomphalement sur le miroir sans teint du silence, ce royaume dont je n'ai pas voulu.

"Tu conduisais comme un con, ça devait arriver. Tu aurais pu tuer quelqu'un !"

Les premiers mots de ma soeur étaient griffonnés sur une lettre qu'elle m'avait envoyé le lendemain de mon hospitalisation. C'était la première fois que je prenais le temps d'examiner le papier et la forme de l'écriture. J'imaginais Charline, folle de colère, sous le choc, qui écrivait sur une feuille arrachée de son bloc-note et signait comme une griffure, sans même se relire. A bien y regarder, l'encre avait presque traversé le papier à cet endroit-là.
Tu ne t'aimes pas, petite soeur, c'est pour ça que tu adores me détester, Il m'a seulement fallu un monde sans bruit pour le comprendre.

Martha sort et je me déplace jusqu'au sofa où j'allume la télé. Les seuls programmes sous-titrés sont les documentaires sur la sidérurgie ou bien les films universels, ceux que chacun peut vous réciter par coeur même en les ayant vu une seule fois. Mais ce que je regarde n'en a pas besoin : aucun traducteur ne saurait de toute manière sous-titrer le chant.

Avant l'accident, je ne suivais guère l'actualité musicale, je ne t'ai donc jamais entendue...trop pris par mon travail, je ne prêtais aucune attention aux talents neufs, me bornant à une simple musique de fond quand j'avais besoin de me détendre.
Je ne t'ai jamais entendue...et ne le pourrais plus jamais. Mais j'ai appris...

A percevoir le tremblement de tes lèvres quand tu commences à chanter.

A deviner dans la légère vibration de ta gorge ta voix qui monte.

A comprendre et à saisir toute l'émotion des couplets, dans la façon dont tes yeux brillent alors que tu les lèves vers ton public - vers moi. Tes mains qui attrapent le micro comme s'il te brûlait les doigts...et ce sourire léger ombrant ta bouche rouge lorsque tu as terminé et que tu inclines la tête pour saluer...

Sans aucun doute, le silence te rend plus belle. MON silence, mon royaume où tu ne mettras jamais les pieds, celui où personne ne trompe. Pourquoi la colère m'étreint la gorge chaque fois que le programme se termine ? Peut-être est-ce de te voir tourner le dos à la caméra puis disparaître du champ dans un bruissement que je ne peux que supposer.

***

"Il y a du monde ce soir ?"

Silvio sourit en la regardant apposer son maquillage en tirant la langue. Gena est un vrai garçon manqué, devoir se maquille pour la scène relève pour elle de l'absurdité. Mais même si elle a des yeux qui pétillent et une bouche faite pour croquer à belles dents et pour rire, sous les projecteurs blafards, la peinture est indispensable, tout comme le vernis.

Elle n'aime pas ce cabaret, où elle chante, elle préfère la scène, elle aime le murmure qui monte des sièges, en symbiose avec son chant.

Et surtout, surtout elle en a plein le dos de chanter pour les morts : Piaf, les beatles, Michael jackson, tout y est passé, les vieux tubes dépoussiérés jusqu'à sentir la javel, elle n'en peut plus. Elle veut pouvoir crier ses paroles, ses compositions. Par ce qu'en plus d'être mignonne, Gena a le mot bon : pas transcendant mais piquant comme elle, de ceux qu'on aime fredonner simplement pour avoir le coeur comme une bulle de savon.

Oui c'est exactement ça, Gena : aucun chichi, aucune contrefaçon, juste aimer un peu la vie et s'amuser à la chanter. Elle ne se tordra pas les mains en voyant apparaître son premier cheveux blanc, elle ne le teindra pas et quand on aura cessé de l'écouter chanter, elle le fera encore pour ceux qu'elle aime,tout simplement.

Comme Silvio, qui la prend par la taille pour l'embrasser sur le front. Ils ont beau avoir le même âge, il a parfois l'impression d'être un grand frère incestueux avec elle : à l'heure où on vous parle de passion et de sexe, préférer la complicité avec la femme de sa vie, ça peut paraître un peu naïf ou carrément pervers. Mais Gena elle s'en fout, elle le dit et elle le répète à tous ceux qui veulent la conseiller.

"Les gens qui ouvrent la bouche et veulent que vous fermiez la vôtre par ce que leur parole vaut mieux ne vous voudront jamais du bien." Comme elle dit si bien.

Elle finit de nouer ses cheveux noirs, qu'elle a peigné de manière éclair, histoire de ne pas être trop hirsute et vérifie qu'elle n'a pas raté son coup en appliquant le rouge à lèvres avant de sortir de sa petite loge pour remonter le long couloir qui la mène dans la salle du café-théâtre.

Ce soir après "imagine all the people" et "Cry me a river", elle a décidé de se lancer avec une de ses chansons, pour savoir...pour voir...Une plongée dans l'eau froide après être restée à température ambiante, en quelque sorte.

Alors qu'elle approche du petit escalier, elle remarque que quelqu'un semble attendre...bizarre, pourtant personne ne passe sur scène, c'est toujours elle qui fait la première partie du spectacle en semaine.

"Monsieur ?"

L'homme est assis sur les marches et semble perdu sans ses pensées. Intriguée, elle s'approche et lui touche légèrement le bras, de ses ongles vernis tachetés d'étoiles blanches.

"Monsieur, est-ce que ça va ?"

C'est par ce qu'elle se penche davantage qu'elle ne voit pas luire l'arme. Et qu'elle ne comprend pas quand l'homme la frappe à la gorge, d'un coup sec, ouvrant une ligne rubis sur sa peau claire.

***

Ils m'ont emmené. Et je n'ai pas résisté...J'ai simplement gardé serré dans mon poing le ruban qu'elle portait autour du coup et que j'ai coupé dans le mouvement. Une belle coupure, nette, parfaite. Même la tache de sang sur le ruban blanc est parfaite, légèrement arrondie, une pointe de couleur hermès sur le tissu soyeux.
Autour de moi, les pantomimes s'agitent, m'apostrophent.

Et je me contente de leur sourire.

Le silence les rend tous plus beaux.

Elle, surtout...maintenant qu'elle est entrée avec moi derrière le miroir. Elle qui ne me tournera plus jamais le dos.


jeudi 21 janvier 2010

START


START

19 Janvier 2010


C'est drôle comme sensation...c'est puissant et terrifiant à la fois, on a l'impression de rêver, on se demande exactement quand on va se réveiller.

Tic

Tac


C'est comme plonger la tête dans l'eau, sentir l'oxygène qui remonte au cerveau, avoir les tempes qui bourdonnent, vivre des secondes interminables dans le monde du silence.

C'est être libre.

Tic

Tac


Elle me gonfle, cette pendule, depuis le temps qu'elle rythme tout ce qu'il m'a fait. Les mains encore tremblantes, j'attrape le tabouret et je grimpe pour l'arrêter, je tends les bras, mon dos est douloureux, c'est normal, il me l'a écrasé du talon, juste avant que...

Tic

Tac


Juste avant que je réussisse à attraper le pilon, qui a explosé deux carreaux en damier de la cuisine, dont les dessins en fractal sont parcourus de rigoles rouges à présent.

Alors que je tente de saisir le balancier, mon cœur se met à battre comme un dément et je prends une profonde inspiration, qui me fait mal et tellement de bien à la fois.

C'est comme vivre dix ans sous terre et avoir le soleil qui vous brûle les yeux alors que vous tendez les bras pour vous hisser dans la lumière.

Dix ans c'est mon âge...l'âge où j'ai attrapé un pilon pour l'arrêter, lui. Sa voix, ses poings sur ma nuque, ses pieds qui me faisaient rouler sur le damier et ses cris perçants d'oiseau malade...j'ai tout arrêté, exactement comme j'aimerais arrêter cette putain d'horloge !!!

Mais le balancier m'échappe, malgré mes doigts tendus, qu'il effleure en me narguant.

Tu peux tuer...tu peux les faire taire...mais arrêter une horloge...minable...

Ca tu ne peux pas.

J'émet une sorte de cri de rage, mélange de colère et de sanglot étouffé et j'ai un violent sursaut pour saisir l'horloge. Et c'est là que mon pied dérape. Je me sens à peine basculer en arrière, puisque de toute façon, tout ça est seulement un rêve.

Le héros se réveille toujours quand il est en train de tomber.

Mon réveil à moi c'est quand mon visage heurte la flaque de sang au sol et que je vois ses yeux posés sur moi : ses deux pupilles sont minuscules, l'iris est injecté, on dirait deux aiguilles enfonçés dans une mare écarlate et grise, répugnante.

Tic

Tac


"Qu'est-ce qui te prends ?????"

Une main vient de me saisir le poignet et, clignant des yeux, je tourne la tête dans sa direction. Non...ce ne sont pas les yeux de mon père qui me fixent mais deux pupilles de chat dans une petite fontaine menthe à l'eau.

"Tu as fait un cauchemar ?" Me demande leur propriétaire, l'air inquiet. "Tu t'es mis à crier."

"C'est rien."

En fait, je suis en train de respirer comme un asmathique, on me croirait sur le point de crever...c'est en me calquant sur le rythme régulier du balancier que je parviens à retrouver une respiration normale.

Tic

Tac


"Tu ne pourrais pas arrêter cette foutue horloge ??? C'est pénible et franchement sur ce papier peint bleu c'est kitsch, ça fait popotte."

Je souris en fixant le plafond.

C'est bon un peu de cauchemar pour rappeller à quel point j'ai été bien ce jour-là...

"Non, elle est bien où elle est. C'est un souvenir de mon père."

dimanche 17 janvier 2010